Cet article vise à mettre en lumière le développement de l’audio interactif et de la signature sonore des jeux Mario Bros, du premier jeu (1985) à aujourd’hui.
À l’origine, l’audio du premier jeu, Super Mario Bros, fut créé entièrement par Koji Kondo qui prit plus tard la position de conseiller audio afin de superviser les contenus audios des jeux suivants, principalement conçus par d’autres employés.
C’est donc à ce compositeur de grande renommée que l’on doit beaucoup des développements sonores de la franchise qui a changée l’histoire des jeux vidéos.
La musique de Mario Bros, dans les mots de Kondo (qui a également sonorisé les premiers jeux Zelda) :
« Comparé à Zelda, Mario a une ambiance plus joyeuse, donc je vise la création de musiques qui sont joyeuses, rythmiques, et de mélodies faciles à retenir. »
Signature sonore de Super Mario Bros (1985)
Dans le premier opus, tous les SFX sont typiquement constitués de notes très aigues jouées rapidement. Ces notes sont à ce moment, comme tous les sons du jeu, jouées sur un des 5 canaux de la puce sonore du NES, très limitante au niveau des arrangements musicaux possibles à l’époque.
Les sons sont alors faits d’une façon qui rappelle le Mickey Mousing : réinterprétant musicalement ce qui est vu à l’écran. Par exemple, lorsque Mario saute, on entend un son qui augmente en hauteur pour représenter le saut physique du personnage.
Dans cette même idée, obtenir une pièce d’argent dans ce jeu imite le son d’une caisse enregistreuse.
Il y a même quelques éléments précurseurs d’interactivité musicale dans Super Mario Bros : les 100 dernières secondes d’un niveau sont accompagnées par un tempo plus rapide afin de signifier au joueur que le temps commence à manquer.
Lorsque Mario obtient une étoile, la musique change sur le prochain temps fort pour rester synchrone d’un thème à l’autre, quoique parfois abruptement.
Signature sonore de Super Mario World (1990)
Dans une entrevue, Koji Kondo relate l’arrivée du PCM sound, un tournant technologique pour le son de Nintendo. Auparavant limité à des ondes carrés rudimentaires créant le son « chiptune » de l’époque, la Super Nintendo, console phare d’une nouvelle génération, permettait une bien plus grande variété de timbres et de sons.
Cette situation à menée Kondo à un choix difficile : utiliser ces nouvelles possibilités techniques pour reproduire le son des instruments du monde réel, ou créer un nouveau style et lexique de musique de jeu vidéo.
Pour Super Mario World, il choisit d’imiter les instruments du monde réel, mais de les arranger d’une manière inusitée, comme en combinant le banjo et les steel drums par exemple, misant sur des instruments au timbre unique pour ensuite programmer l’arrangement des musiques.
Côté interactivité musicale, dans le niveau Yoshi’s Island 2 on peut déjà constater un premier exemple de vertical layering, une technique qui se retrouve partout dans les jeux vidéos modernes.
Pour faire simple, on change légèrement l’arrangement musical de la trame de fond lorsque Mario embarque sur Yoshi pour lui ajouter des percussions de façon dynamique, peu importe le moment ou le joueur choisit de faire cette action. Le résultat donne une couleur différente lorsqu’on utilise Yoshi, enthousiaste et énergique. L’arrangement retourne au format initial lorsque Mario quitte ensuite Yoshi, sans jamais interrompre la musique en cours.
Signature sonore de Super Mario 64 (1996)
L’arrivée de la Nintendo 64 change à nouveau les choses : Kondo n’a plus besoin de programmer des sons et peut se dédier entièrement à la composition musicale alors qu’un autre employé, spécialisé dans la programmation sonore, s’en charge désormais.
Un des changements de Super Mario 64 est la création d’un monde en 3 dimensions, qui donne l’envie à Kondo de retirer le SFX de saut « boing » pour plutôt avoir Mario qui crie quelque-chose à chaque saut.
L’idée lui vient également de randomiser ce que Mario dit à chaque saut pour briser la monotonie. Aujourd’hui, ce serait l’équivalent d’utiliser un random container dans Wwise ou FMOD, soit un événement qui appelle au hasard un des SFX qu’il contient à chaque fois qu’il est lancé, une pratique omniprésente aujourd’hui mais nouvelle à l’époque.
Signature sonore de Super Mario Galaxy (2007)
À partir de Super Mario Galaxy, une nouvelle tendance sonore se dessine : Les SFX sont désormais harmonisés à la musique qui joue en arrière-plan. En d’autres mots, les notes individuelles de la mélodie du SFX sont tirées de la même gamme que la musique d’accompagnement. De cette manière, la musique et les SFX sont toujours consonants ensemble, peu importe ce que le joueur déclenche.
Super Mario Galaxy pousse même l’audace jusqu’à changer la tonalité d’un même SFX plusieurs fois lorsque la même musique d’arrière-plan module afin qu’il suive le parcours tonal qui l’accompagne.
En plus d’accorder les SFX à la musique d’arrière-plan, Super Mario Galaxy s’assure de synchroniser les moments ou ces SFX sont entendus, afin qu’ils tombent toujours sur un temps ou contretemps de la musique d’accompagnement, plutôt qu’à un moment hasardeux.
Le jeu est truffé de petits systèmes musicaux complexes liés aux SFX, que ce soit avec la transformation mille-pattes ou la powerline, plusieurs de façons de musicaliser les SFX sont explorées et mises à profit, tout en s’adaptant à la tonalité de chaque musique de jeu que le joueur peut changer en plein milieu d’un niveau (!).
D’une certaine façon, les SFX sont une extension musicale du jeu, et un soin énorme est mis afin qu’ils soient consonants et sur le temps. Une pensée globale du rôle des SFX par rapport à la musique, afin qu’ils soient le plus cohésifs possible a été menée à un plus haut niveau dans Super Mario Galaxy.
Il y aurait énormément d’éléments musicaux à souligner dans Super Mario Galaxy, et à défaut de pouvoir en faire le tour ici, ce vidéo de Nik Gambardella présente bien toute la richesse sonore que le jeu offre au joueur et la complexité de ses systèmes :
Signature sonore de New Super Mario Bros Wii (2009)
Dans New Super Mario Bros Wii, on retourne à l’univers 2D de Mario avec en prime la possibilité de jouer à 4 joueurs en même temps, ce qui ajoute une bonne dose de chaos alors que les joueurs sautent et foncent l’un dans l’autre constamment. La partie multijoueur du jeu n’a pas eu d’impact sur l’approche de la composition musicale, mais l’équipe a définie « the concept of rhythm » pour ce jeu, l’idée d’un groove qui est présent constamment à travers toute l’expérience de jeu.
L’équipe a jouée très fréquemment au jeu en développant sa musique, et les sessions de jeu ont été considérées comme essentielles pour comprendre le rythme et le tempo nécessaire pour servir le jeu.
Au niveau de la musique interactive, ils ont fait en sorte que les ennemis et certains objets dans le jeu bondissent et dansent en rythme lors de certaines phrases musicales.
Ils ont même eu à changer certaines phrases musicales pour maintenir une balance de difficulté adéquate dans certains niveaux. Wwise utilise des « Callback events », soit des événements provenant du middleware musical pour déclencher des animations dans le jeu sur le rythme d’une musique.
Toutefois, pour adresser les enjeux liés aux nombreux SFX déclenchés par la présence de 4 joueurs simultanés, l’équipe à dû faire en sorte de minimiser le chaos dans la trame sonore en général.
En conclusion, le mickey-mousing de Super Mario Bros s’est transformé avec les décennies en un travail pionner de développement de musique interactive. Spécifique à l’univers du jeu vidéo, les SFX des jeux récents (3D) sont une extension de la musique d’accompagnement, et divertissent le joueur en lui offrant des surprises musicales, peu importe où le joueur choisit d’aller, à travers des systèmes d’une grande complexité à mettre en place par toute l’équipe.
Qu’est-ce que le futur nous réserve?
Dans une entrevue, Kondo donne ses prévisions sur l’avenir de l’audio de jeux vidéos :
« Fondamentalement [la fonction de la musique de jeu] est d’augmenter l’appréciation du jeu même. Je crois qu’on verra – et qu’on doit voir – davantage de musique interactive. [On devra voir] l’habileté à associer la musique et les SFX à ce qui se passe à l’écran, et d’être capable de changer entre ceux-ci et d’aligner le timing d’une manière qui augmente de façon fondamentale le plaisir de jouer le jeu, et je crois que c’est ce qu’on a besoin de voir. »
Sources :
https://medium.com/game-audio-lookout/musical-sound-effects-in-the-super-mario-series-b14872fb2d94
https://shmuplations.com/kojikondo
https://www.vg247.com/super-marios-maestro-a-qa-with-nintendos-koji-kondo?page=2
https://www.originalsoundversion.com/sound-director-kenta-nagata-talks-new-super-mario-bros-wii/